TRAVERSEE DES PYRENEES

 

 

Banyuls sur mer- Hendaye

GR10/11

 

29 juin – 12 août 04

 

 

 

“Many times I’ve been alone and many times I’ve cried,
Anyway you’ll never know the many ways I’ve tried…”

Paul McCartney
“The long and winding road”

 

 

1er jour: mardi 29 Juin 2004 : LE DEPART

Je suis déjà fatigué ! J’ai passé une nuit très agitée à me poser des milliards de questions, ma tête est pleine à exploser. Je ne suis pas arriver à me calmer pour pouvoir dormir convenablement. Le moment des adieux avec Gabrielle, ma fiancée, est très pénible, nous savons que l’on ne se reverra pas avant au moins 2 mois. La veille, nous sommes allés manger une pizza qui m’est restée en travers de la gorge ; j’étais trop stressé, trop anxieux pour apprécier ces derniers moments.
Je pars de mon appartement lyonnais vers 6h30. Je descends les 100 marches de nos escaliers, Gabrielle ferme la porte derrière moi, ça y est : c’est parti !
Notre train en direction de Perpignan est à 7h10 à la Part Dieu. C’est dans le métro que je me rends vraiment compte du poids de mon sac (26 kilos ; celui d’Olivier en fait 28 !). J’ai l’impression de porter du plomb. Je suis obligé de m’agripper aux barres pour ne pas partir sur les côtés. Je me dis qu’on est complètement cinglé d’essayer de faire ça en autonomie complète, comme si la traversée en elle-même n’était pas assez difficile ! Mais à vaincre sans périls…
Dans mon costume de baroudeur, je ne me sens pas encore bien à mon aise. En guise d’adieu, j’ai droit à un type complètement saoul qui, évidemment, veut tout savoir de ma vie et à une vieille un peu folle qui me hurle dessus parce que je prends trop de place dans la rame. Finalement, je ne suis pas mécontent de quitter cet univers là. Je commence déjà à transpirer dans les couloirs qui relient la station de métro à la gare, les muscles de mes jambes sont déjà bien sollicités.
A la gare, Olivier n’est pas arrivé, ça m’inquiète un peu puisque je n’étais pas très en avance. Il arrive accompagné de sa copine Anne Hélène et à voir leurs visages, je me dis qu’ils ont dû passer une aussi bonne nuit que moi. Nos sacs sont si lourds qu’il faut faire attention de les poser sur quelque chose de surélevée pour ensuite pouvoir se baisser, passer les bras dans les sangles et se relever. Nous partons.

Je passe un voyage horrible, nous ne décrochons pas un mot. J’ai faim mais mon estomac est tellement noué que je suis à deux doigts de vomir mon unique bouchée d’un pain au chocolat. En plus, nous n’avions pas grand chose à manger à la maison, je n’ai qu’un bol de lait chocolaté dans le ventre. L’excitation du départ est presque totalement effacée par ma peur.
Nous avons un changement de train à Perpignan pour Banyuls. Nous restons entre deux rames pour pouvoir entreposer nos deux sacs ; nous parlons un peu avec une anglaise qui a beaucoup de mal à prononcer « Perpignan ». Nous arrivons en gare de Banyuls à 11h20 et assistons à une scène comique. Un homme, ne parlant pas français (espagnol ?) qui était monté quelques stations avant Banyuls sans billet, est forcé par le contrôleur à descendre en même temps que nous. Naturellement, il n’est pas d’accord : il déchire rageusement sa contravention, jette les morceaux sur le contrôleur et s’en va en grognant comme une furie. Le contrôleur lui crie qu’il aura à faire à la police.
Banyuls est un petit village assez mignon dont l’architecture rappelle que nous ne sommes pas très loin de l’Espagne. Nous nous dirigeons vers la plage, nous découvrons une petite crique et une plage couverte de gros galets. Je ne m’attendais pas à cela, je suis un peu déçu. Nous prenons une photo pour la postérité. Il est environ midi et la chaleur est déjà insupportable. Près de la mairie, je prends en photo une belle mosaïque représentant les Pyrénées et le tracé du GR10. Cette plaque se trouve ici car la majorité des gens qui emprunte le GR10 (sentier de Grande Randonnée balisé), que ce soit pour plusieurs jours ou toute la traversée, vont dans le sens Hendaye – Banyuls. Il y a deux explications à cela.
Tout d’abord, il existe des livres de randonnée appelés « topo-guides » qui découpent les Pyrénées par tronçon d’une dizaine de jours et qui vont dans le sens Hendaye – Banyuls. Deuxièmement, Olivier et moi, en discutant avec pas mal de gens avons entendu une thèse historique. La première traversée faite au milieu des années 60 par un certain Georges Véron – grand nom du pyrénéisme et auteur de nombreux livres sur les Pyrénées - aurait été faite dans ce sens là et par la suite tout le monde aurait suivi. La plupart des randonneurs suivent donc cette direction sans se poser de questions. Cette dernière hypothèse doit tout de même rester au conditionnel. En tout cas, nous irons à contre courant, ce n’est pas une idée qui me déplait.
Au bout d’une centaine de mètres dans le village nous ne voyons déjà plus les marques blanches et rouges du GR ! Nous, les aventuriers pyrénéens, nous nous perdons en ville ! Nous remarquerons par la suite que les endroits où nous aurons le plus d’hésitations sur notre direction seront dans les villes et villages. Nous commençons à monter dans les vignes, le sol est sec et caillouteux, le soleil cogne fort, je transpire à grosses gouttes. Pour manger, nous nous arrêtons à l’ombre d’un arbre desséché au milieu du chemin. Au menu : soupe chinoise, goût bœuf. Cela fait un peu bizarre d’avaler quelque chose de brûlant sous cette chaleur.
Nous continuons ; je pensais que la montée en partant de Banyuls serait graduelle, ce n’est pas le cas ! Plus tard, nous trouvons une petite fontaine dans un coin ombragé bien agréable. Un randonneur, environ la quarantaine arrive. Nous annonçons du bout des lèvres que nous comptons aller jusqu’à Hendaye. Il répond : « Eh ben moi, j’en viens ! » Je suis abasourdi ; nous commençons à peine, il finit dans quelques heures au maximum. Nous le bombardons de questions pour savoir la difficulté, l’eau, les ravitaillements potentiels, les coins pour dormir… Nous apprenons qu’il a mis 30 jours pour faire la traversée en coupant au plus court : GR10, GR11, HRP (Haute Route Pyrénéenne) dormant toutes les nuits en gîte d’étape et qu’il n’a pas subi un seul jour de mauvais temps (une chance incroyable lorsque je considère aujourd’hui la météo de notre traversée). Il n’a presque rien sur le dos. Cela reste toutefois une belle performance. Il n’y a, cependant, pas qu’une seule façon de traverser les Pyrénées. Cet homme me hantera pendant tout le voyage.
Nous ne marchons pas très longtemps pour notre première demi-journée de marche (entre 6 et 10 Kms au curvimètre). Je suis quand même bien fatigué. Ce satané sac est trop lourd pour moi, il faut que je m’allège à tout prix. Je connais mes limites et je sais que je n’irais pas loin comme ça. La légèreté deviendra ma préoccupation numéro une pendant les prochains jours. Olivier se révèle beaucoup plus résistant que moi à la charge, il impressionnera énormément de gens et moi le premier.
Nous nous arrêtons au milieu d’un chemin étroit bordé d’arbustes pour manger. Nous décidons de finir la journée ici, il n’y a pas d’espace découvert et plat pour planter la tente. Notre première nuit dans les Pyrénées sera donc à la belle étoile. Je me dis que ça a de la gueule de commencer comme ça ! Le ciel est sans nuages, nous ne craignons pas la pluie pour la nuit. Il est 19h30 quand j’écris pour la première fois dans mon carnet de bord : « ça y est, on est dans les Pyrénées. Il ne nous reste plus qu’à marcher ! »

2éme jour : mercredi 30 juin

Nous nous levons à 5h30. Une journée ensoleillée s’annonce. La nuit à la belle étoile n’a pas été très bonne autant pour moi que pour Olivier, la chaleur était vraiment étouffante. Nous devons passer le pic de Sailfort (984m), nous avons environ 500m de dénivelé. J’en bave comme pas possible. Aujourd'hui plus dur pour moi qu'hier, le reveille commence mal, le réchaud ne veut pas démarrer, déjà des problemes techniques, ça fout en l'air le petit déj', froid... Je souffre pendant toute l'ascension du pic de Sailfort, mal au ventre, je galère et fait une pause tout les 50m de dénivelé, une fois ce foutu pic passé ça ira beaucoup mieux. Après le sommet, nous croisons 3 randonneurs avec lesquels nous papotons pendant vingt minutes. Nous les mettons au courant de notre projet, ils nous conseillent sur beaucoup de points. Selon eux, nous sommes, évidemment, trop chargés. Ils font la traversée mais un tronçon chaque année. Ils viennent du col de Puymorens (près d’Andorre) et marchent depuis une dizaine de jours. C’est leur dernière étape. Je les écoute avec attention, j’ai l’impression qu’ils viennent du bout du monde. Je me dis intérieurement : « Quand tu seras là-bas, tu pourras déjà être fier de toi ! »
Nous traversons de grands plateaux herbeux où à chaque arrêt des centaines de mouches nous tournent autour, nous rentrent dans les yeux, dans le nez… Je n’en ai jamais vu autant. A midi, nous mangeons une soupe encore en plein soleil, il n’y a pas d’ombre et nos estomacs ont du mal à supporter que l’on dépasse l’heure du repas. Le matin, notre réchaud n’a pas voulu fonctionner. Nous avons marché la matinée avec cette angoisse sous-jacente : si le réchaud nous lâche, l’aventure s’arrête nette. Il chauffera normalement à midi. Plus tard, Olivier le démontera pour s’apercevoir que le joint de la pompe qui permet de créer de la pression dans la bouteille d’essence est un peu détérioré. Il nous suffira d’y appliquer un produit spécial fourni avec pour régler le problème. Le réchaud ne nous fera plus jamais faux bond malgré quelques caprices bénins. Nous irons même, au fil des jours, jusqu’à lui attribuer une véritable personnalité ; son humeur étant inégale d’un jour sur l’autre.
Ce jour-là, nous marchons 6 heures. Le curvimètre rend son verdict : 10,5 Kms. C’est démoralisant. Le soir, nous dormons dans une cabane qui me paraît un peu lugubre sur le coup ; je ferais moins la fine bouche par la suite. En tout cas, nous sommes à l’abri du vent qui souffle très fort dans les Pyrénées orientales.

 

3ème jour : jeudi 1er juillet

Levé à 5h30. Je crois avoir mieux dormi que la veille même si le réveil est difficile. Dans la nuit, nous avons été obligé de nous lever pour fixer un volet qui claquait violemment à chaque rafale de vent. Au matin, il souffle fort et refroidit l’air. Cela ne nous donne pas envie de sortir de la cabane où il fait bon. Nous partons à 6h40 pour s’arrêter à une fontaine quelques centaines de mètres plus loin. On refait le plein des gourdes, la vaisselle, j’en profite pour me décrasser un peu le visage et les mains. Nous rencontrons un couple qui vient de Mérens les Vals à une dizaine de jours de marche. C’est à peu près à la hauteur de Puymorens. C’est une randonnée assez fréquentée puisqu’elle correspond à la traversée des Pyrénées orientales.
Nous montons un autre pic, appelé : pic Neulos. Nous prenons plusieurs photos au sommet, puis nous entamons une longue descente, avec quelques cafouillages dans la direction, sur un petit village nommé St Martin d’Albères. En effet, le petit massif dans lequel nous sommes à ce moment là s’appelle le massif des Albères. Nous effectuons un détour non désiré au col de l’Ouillat avec son gîte d’étape. On s’accorde un coca au Perthus. Nous y arrivons vers 12h45. C’est une petite ville au milieu de laquelle passe la frontière franco-espagnole. Nous buvons donc notre soda parmi la foule de gens qui achète des cigarettes et de l’alcool.
Je compte sur une Poste pour renvoyer de la nourriture par colis à Gabrielle. Nous la trouvons ; le temps de traverser la rue, elle ferme devant nos yeux à 13h15 jusqu’au lendemain 8h15 ! Je ravale ma déception. Nous appelons nos copines respectives. Gabrielle m’apprend qu’elle a réussi son concours d’entrée à l’école d’infirmière, ça me redonne le moral.
L’après-midi sera très chaude donc accompagnée pour moi de plusieurs litres de transpiration. Le climat et la végétation sont encore méditerranéens. Avant d’emprunter une piste, nous passons près de ruines appelées le fort de Bellegarde. Puis, nous traversons des forêts de chênes-lièges ; on sent qu’il ne faudrait pas grand chose pour que tout s’embrase facilement. Finalement, nous stoppons la journée à 16h20 en plantant la tente sur la piste, en sous bois, dans un endroit ombragé et à l’abri de ce vent qui rend fou. Nous avons marché entre 7 et 8 heures. Les derniers kilométres auront été atroce pour moi, obligé de m'arréter (j'ai l'impression) tout les cents métres pour boire et me reposer, je galère pour avancer, le soleil brûle et j'en est marre de cette foutu piste. On a pas atteint notre objectif, le retard que l'on à déja au bout de trois jours me mine, mais je suis pas mécontent quand on s'arréte...

4èmejour : vendredi 2 juillet

Réveil à 5h30. Le temps de petit-déjeuner et de replier la tente, nous partons à 7h. Il y a encore énormément de vent. Toute la matinée, nous nous dirigeons vers un ciel gris et bouché. Par chance, nous ne subirons rien ce jour-là.
Nous suivons tranquillement notre piste de cailloux en discutant quand nous apercevons un panneau sur lequel est inscrit : « Mas Nou, camp naturiste » ou quelque chose d’approchant. D’ailleurs, je ne comprends toujours pas pourquoi à l’heure actuelle. Nous n’avons vu personne se balader à poil !
Nous ne prêtons pas attention aux aboiements qui nous parviennent. La bâtisse se trouve en contrebas du chemin. Olivier me glisse : « Un chien n’est pas attaché ! » Je ne l’entend pas et vois un chien musclé débouler en trombe par-dessus le talus. C’est un fou furieux qui aboie, montre les dents… Nous continuons de marcher en essayant de garder notre calme. Il se tient du côté d’Olivier et essaie à plusieurs reprises de lui mordre la jambe. Il arrive à lui prendre le pantalon, Olivier se rebelle en lui criant dessus, la bête lâche prise. Quelques dizaines de mètres plus loin, le chien nous laisse tranquille et fait demi tour. Ouf ! On s’arrête ; soulagés mais indignés par ce c.. de propriétaire qui laisse un tel molosse détaché. Il est facile d’imaginer qu’un gamin pourrait passer ici. Nous pensons même porter plainte, nous ne le ferons pas. Nous aurions peut-être dû car nous entendrons encore parler de ce chien plus tard dans la traversée. Cette anecdote sera fatale pour le pantalon d’Olivier : le trou provoqué par la morsure du chien s’agrandira progressivement avec la marche pour déchirer la jambe sur toute sa longueur. Les chiens deviendront ma hantise pendant plusieurs jours après cela. A la traversée d’un village, je guetterais, au moindre aboiement, si les portails des maisons sont fermés ou pas.
La piste de cailloux continue encore et toujours. Nous croisons plusieurs anglais que nous mettons en garde.
_Be careful to the dog! 
A Las Illas, petit bled encaissé et très sympathique, nous prenons un café dans un gîte d’étape. Je me prend à rêver d’ouvrir la même sorte d’établissement tellement le coin semble paisible.
Nous décidons d’opter pour une petite partie de la HRP qui nous fait passer en Espagne par le refuge des Salines. C’est un refuge non gardé rattaché à une église qui semble vieille comme le monde ; un petit refuge en pierre avec une atmosphère particulière, calme et sereine. Un nid douillet dans un écrin de pierres. Nous hésitons à nous y arrêter mais il est encore trop tôt. Nous trouvons une fontaine et repartons pour une grosse descente. Mon sac me pèse beaucoup mais je me rassure en pensant pouvoir m’alléger le lendemain dans un village. Je marche à l’autosuggestion. Nous nous arrêtons au col del ricc où nous trouvons un petit coin d’herbe pour dresser la tente. Nous avons marché entre 6 et 7 heures.

5ème jour : samedi 3 juillet

Réveil (encore) à 5h30. Départ à 6h45. Nous marchons en direction d’un village appelé Montalba d’Amélie. Il s’agit, en fait, plus d’un hameau, il doit y avoir 4 ou 5 maisons pas plus. Nous longeons le cours d’une rivière, on décide de s’y laver. L’eau est glacée mais ça fait du bien. On a le sentiment de se sentir propre même si on remet des vêtements sales. Après cette petite « toilette », nous éprouvons la même sensation de relâchement de tous nos muscles accompagnée, bizarrement, d’une légère baisse de moral.
Prochaine étape : Arles sur Tech, une petite ville. Nous sommes obligés de marcher sur la route pour y parvenir. A l’entrée, les voitures nous passent à 50cm. Ma priorité est de trouver la Poste. Elle ferme à 11h le samedi, il est environ 12h ! Nous n’avons pas fait attention, on perd très vite la notion des jours. Cette fois, je prends un sacré coup au moral. Je sais que nous n’allons pas traverser de villages ayant une poste avant pas mal de jours. Moi qui attendais avec impatience de pouvoir alléger mon sac, je ne peux toujours pas renvoyer de la nourriture. Nous décidons, pour me remettre un peu, d’aller manger dans un bar. La qualité est médiocre mais ça me convient tout à fait. Steak haché, pâtes, presque un vrai repas. Je dois digérer le fait de continuer à marcher avec ce sac qui m’arrache les épaules et me casse le dos. En effet, on considère qu’un sac doit se porter à 75% au niveau des hanches et 25% sur les épaules. Or, j’ai cassé le système de fermeture de la sangle qui permet de serrer aux hanches. Je l’attache tant bien que mal mais ce n’est pas pareil.
De toute façon, je n’ai pas le choix, il faut continuer. Après Arles sur Tech, la montée se révèle sérieuse. Tout cet endroit abritait autrefois une importante industrie minière. Nous le devinons à la vue de tous les longs câbles et les structures métalliques rouillées laissés partout autour de nous. Plus tard, nous nous retrouvons un peu à court d’eau. (Avec le recul, je me demande d’ailleurs comment on s’y est pris !) Nous croisons une famille d’espagnols ; nous leur demandons d’où ils viennent et si ils ont vue de l’eau. Ils nous répondent par la négative. Nous sommes étonnés car nous comptions sur un cours d’eau indiqué sur la carte. Finalement, après un peu d’inquiétude, nous trouverons bien cette rivière !
Quelques heures plus tard, dans une montée assez raide, nous croisons un jeune (environ 20 ans) genre « rastaclodo des montagnes », pieds nus, une cagette d’abricots sous le bras ! Nous ne nous parlons pas. Avec Olivier, nous nous demandons vraiment d’où il vient et surtout où il va car derrière nous, nous savons que Arles sur Tech est à plusieurs heures. Il nous arrivera souvent ce phénomène pendant la traversée. Une impression de se trouver dans un lieu totalement désert, sans routes ni habitations où il faut marcher un grand nombre d’heures avant de retrouver la « civilisation » et puis paf ! Quelqu’un qui surgit de nulle part. Selon l’allure générale de la personne, cela peut être rassurant ou non.
Un peu plus tard sur notre gauche, nous trouvons une sorte de grand hangar désaffecté avec dans un coin une petite pièce avec une cheminée et une autre avec des « lits » constitués de planches de bois. Sur le mur de l’entrée, il y a peint en gros : « Refuge des Bigarrats.» Sur notre carte est inscrit : « station intermédiaire du Vigarais », les noms diffèrent mais nous comprenons qu’il s’agit d’une structure qui devait servir du temps où l’industrie minière marchait encore pour acheminer le minerai dans la vallée. C’est un peu sale et sinistre mais ça fera bien l’affaire. A ce moment, je comprends que le jeune avait dû dormir là car il dégageait une forte odeur de feu de bois. Je pense que le refuge n'est pas oficiel mais à été crée par des jeune de la région. Ceci dit il est plutot mignon et confortable et mériterait d'etre cartographié, car il vaut largement des refuges cartographiés mais complétement insalubres croisés plus tard (grace au "civisme" de certains "randonneurs" soucieux de laisser les refuges qu'ils quittent probablement dans l'état dans lequel ils entretiennent leur logement).

Il faut que je m’allège à tout prix. Je décide de laisser 2kgs de soupe dans le refuge avec un petit mot explicatif pour ceux que ça pourrait intéresser. Tant pis. Il faut avouer que ces soupes étaient loin d’être fameuses.
Je ne sais pas combien de temps nous avons marché mais c’est une grosse journée.

6èmejour : dimanche 4 juillet


Hier soir, trouver le sommeil se révéla être une véritable épreuve à cause des nombreux moustiques.
_L’air de la montagne leur réussi. Ils doivent être bien nourris dans les Pyrénées !
En effet, ils sont énormes, coriaces et ne lâchent jamais leurs proies. J’en éclate quelques uns avec délectation contre le mur, en vain. Je suis débordé par leur nombre. Nous sommes obligés de rentrer dans le duvet la moindre parcelle de peau et de nous enrouler la tête dans nos t-shirts. Difficile de respirer !
Nous partons à 6h35 en direction d’un gîte d’étape appelé Batère. Le sentier se révèle agréable jusqu’au gîte. La matinée est fraîche et ensoleillée, nous longeons pendant un instant un petit cours d’eau bordé d’herbes hautes et grasses. Nous nous arrêtons au gîte pour compléter notre petit déjeuner qui nous paraît de plus en plus maigre par rapport à l’effort fourni en journée. Le patron, un peu rondouillard et extrêmement sympathique, nous gâte en nous dégotant ses dernières petites brioches pour accompagner nos cafés. Nous discutons longuement ; il nous conseille même de changer notre itinéraire. Nous avions prévu de prendre un petit bout de la HRP mais, selon lui, il est trop tard pour attaquer ce chemin à cause de la chaleur qui va s’abattre cet après-midi. Toujours se ranger à l’opinion des autochtones. Il est environ 9h.
A notre départ, nous croisons sur le pas de la porte un homme qui à l’air de marcher seul. Sa tête me dit quelque chose. Je réfléchis quelques instants et m’aperçois que je lui avais dit bonjour à la terrasse du bar à Arles sur Tech. Il à l’air très bizarre, il porte un jean noir et une épaisse surchemise à carreau style « bûcheron canadien ». On ne peut pas dire que ce soit l’idéal pour marcher sous cette chaleur. Il nous rattrapera un peu plus tard, nous engageons la conversation. Je me rends compte qu’il me fait vraiment peur ; il est trapu (ses mains sont énormes), il a le regard vide et inexpressif. Nous ne comprenons pas tout ce qu’il nous dit, nous avons l’impression qu’il marche sans but précis : il n’a pas de vraie carte et n’utilise que des dépliants touristiques dotés de cartes plus que grossières. Par moment, il a des gestes brusques. Nous le laissons. Pendant les heures suivantes, nous aurons la terrible impression d’avoir un « serial killer » aux fesses ! (C’est d’ailleurs comme cela que nous le surnommerons.) Dans ma tête défilent tous les scénarios d’horreurs possibles et imaginables ; je le vois en train de se cacher derrière des arbres et nous jeter des pierres, je l’imagine en train de faire basculer un de nous deux dans le ravin dans un moment de folie. Pas la peine de dire que nous marchons à 300 km/heure pendant quelques heures. Je me retourne, il est juste derrière Olivier ! Je me demande comment il a fait. Une chose est sûre, il a essayé de ne pas nous lâcher. Dans un espace un peu plus plat et découvert, nous sommes obligés de nous arrêter : nous avons trop soif. Il nous rattrape, se plante un moment devant nous et repart sans dire un mot. Ouf ! Je suis bien heureux de le laisser partir devant. Nous ne le reverrons pas de la journée mais la saga du « serial killer » n’est pas encore achevée !
Plus tard, nous passons près d’une maisonnette en pierre, il s’agit en fait d’une maison utilisée par l’Office national des forêts. Il faut savoir que nous nous trouvons en ce moment dans le massif du Canigou. Le mont Canigou, culminant à 2784m d’altitude et dont le nom rappelle étrangement une marque d’aliments pour chiens, est un symbole et une fierté pour tous les catalans. Etudiés par de nombreux scientifiques ce massif possède une faune et une flore unique dans le monde, c’est pourquoi c’est un espace protégé et réglementé.
A côté de la cabane rôdent deux chiens, un s’approche de moi et manque de me mordre. Plus je lui fais « chut » et plus il s’approche. Un type sort de la maison et me lance : « N’ayez pas peur, il est aveugle, il a plus peur que vous. » Je lui rétorque : « ça reste à prouver ! »
Pour manger, nous faisons une halte dans la cabane du Pinatell. Une colonie d’espagnols s’agglutine devant l’entrée pour casser la croûte : on ne peut pas dire qu’ils soient silencieux. Pâtes bolognaises au repas, un de nos plats préférés. Evidemment, ce n’est pas de la grande cuisine mais nous avons déjà expérimenté bien pire en lyophilisé ! De plus, cela remplit bien le ventre.
Nous entamons ensuite un sentier à flanc de montagne dénommé : « balcons du Canigou ». La vue sur notre droite, belle et impressionnante, plonge sur la vallée mais pas question de se laisser aller à trop admirer le paysage : il faut regarder en priorité où l’on met les pieds ! La sente est très étroite et parsemée de cailloux traîtres, gare aux trébuchages ! Au bout du chemin, nous débouchons sur une piste dite « semi carrossable » ; c’est-à-dire uniquement praticable par les 4/4 et les Jeep. Nous en ferons d’ailleurs l’amère expérience. Dans une chaleur épouvantable, sans vents ni ombrages, nous marchons sur cette piste poussiéreuse. Sa monotonie n’est brisée que par les fréquents et bruyants passages des grosses bagnoles qui nous envoient leurs fumées dans les poumons. Et comble de l’injustice, c’est nous qui devons nous ranger sur le bord pour les laisser passer ! Leçon d’humilité que d’aller à pied.
Cet épisode finit de nous épuiser et c’est avec bonheur que nous atteignons enfin le refuge des Cortalets au pied du Mont Canigou. Nous buvons un coup et décidons de nous régénérer un peu en prenant le repas ainsi qu’une nuit dans le refuge d’hiver. Chaque refuge possède, en théorie, un refuge d’hiver ; c’est souvent une petite maison en pierre indépendante du bâtiment principal et qui ne sert normalement qu’en hiver (d’où son nom). Certains restent tout de même ouverts l’été et le prix de la nuitée y est moins élevé qu’au refuge normal. C’est donc là que nous dormirons. Ce sont des dortoirs avec de vrais matelas et nous sommes les seuls pour la nuit. L’extase !
Dans la soirée, j’en profite, avant d’aller manger, pour essayer de nettoyer une poche de mon sac souillée par une bouillie infâme constituée de lait concentré (un tube a explosé), de raisins secs et de bouts de papier hygiénique. Charmant.
Le souper, dégusté avec un couple d’espagnols, est un vrai délice ; je peux encore réciter le menu par cœur. Un des jeunes cuisiniers se révèle être le sosie presque parfait de mon cousin Julien. Tout au long de la traversée, je remarquerais souvent des ressemblances entre les gens rencontrés et des membres de ma famille ou des amis. Plus tard, j’analyserais cela comme un mécanisme inconscient essayant de me rassurer face à la peur de l’inconnu.
Puis, nous filons vite au lit. J’essaie de profiter à fond de ce moment de bien être. Je sais déjà que je vais bien dormir.

Nous avons un peu discutés avec la mamie du refuge, une dame très sympathique qui nous félicitera pour ce que nous faisons. Elle trouve formidable que des jeunes aient ce genre d'envie, notre humilité dûe au fait que nous n'en avons pas encore finie avec cette traversée nous rend étonnée de l'acceuil sympathique qu'ont les gens du pays face à notre projet.

7ème jour : lundi 5 juillet

En effet, la nuit fût bonne. Nous nous permettons même de nous lever un peu plus tard : 6h30. Départ à 8h. Nous prenons plusieurs photos sur les bords d’un lac splendide à dix minutes du refuge. Mes pieds commencent à se révolter, j’ai peur qu’ils me trahissent trop tôt. Ils sont criblés de verrues que je n’ai pas réussi à soigner malgré un passage chez un dermatologue et l’application d’un traitement quotidien pendant plus d’un mois avant de partir. Du coup, avec la marche, elle rentre peu à peu dans la peau pour former de petites cavités qui seront, par la suite, recouvertes de corne. Joli portrait, non ?!
A midi, notre pause en sous bois est abrégée par notre crainte de la pluie. Finalement, nous ne recevrons rien sur la tête. Le ciel se réserve pour plus tard.
_ Dis donc, regarde la carte, je crois qu’on peut couper par là. Qu’est-ce que t’en penses ?
_Ouais…Pourquoi pas, essayons.

Erreur. Nous nous retrouvons dans une pente vertigineuse à nous accrocher aux arbres pour ne pas glisser sur les feuilles mortes. L’itinéraire est très mal balisé. Celui qui est en tête doit, tous les 10 mètres, se hasarder dans une direction ou une autre pour retrouver les marques sur un arbre ou un rocher. La dépense d’énergie est considérable et nous n’arrivons pas à nous extasier devant le troupeau d’isards qui descend avec aisance à nos côtés. Misérables bipèdes que nous sommes ! Nous arrivons enfin au creux d’un val où coule un torrent traversé d’une passerelle en bois. En voulant prendre des photos, Olivier se plonge involontairement dans l’eau jusqu’au genoux. Il est furieux de sa maladresse car qui dit : « pieds mouillés », dit : « ampoules ».
Fin de journée, nous stoppons la marche au col de Jou, un carrefour où débouchent plusieurs pistes. Nous prévoyons de planter la tente à l’ombre d’un panneau informatif sur la région. Et qui voyons nous arriver par une piste, torse nu ? Le serial killer !
_Pu…, on n’a pas de bol !
Il s’assied près de nous sans rien dire puis se met à nous questionner : « Vous dormez là ? Vous avez à manger pour ce soir ? » Un peu embarrassés, nous rétorquons que nous allons peut être poursuivre (ce qui est totalement faux). D’un air de dire : « On n’a pas besoin de toi, laisses nous tranquille, S’IL TE PLAIT ! » Je suis un peu tendu, je fais tourner mon Laguiole dans ma poche pour me rassurer. Un petit groupe arrive, il y a plusieurs enfants accompagnés d’un couple de personnes âgées. J’entame la discussion avec le papy. Cela me fait du bien, nous n’avons croisé qu’une seule personne de la journée. Le « serial killer », lui, reste dans son coin, il a l’air d’hésiter et fait d’incessants allers-retours vers les panneaux directionnels du GR. Malgré tout, il viendra nous demander à plusieurs reprises la direction de Py (petit village que nous traverserons le lendemain). Olivier ira jusqu’à se déplacer pour lui coller le bon panneau sous le nez. Quelques dizaines de minutes après, il partira et choisira…la mauvaise piste ! Soulagés de son départ, nous tombons d’accord sur le fait qu’il nous semble bien cinglé !
N’ayant pas cessé de discuter avec le vieil homme, je lui explique notre mésaventure avec l’énergumène. Son hypothèse sur, je cite : « un homosexuel en quête de chair fraîche » ne sera pas pour me rassurer. Elle aura tout de même le mérite de détendre l’atmosphère et de nous faire rire.
Nous passons donc la nuit sous la tente. 7 ½ de marche. Mon moral reste stable. Cela fait une semaine que nous sommes partis. Extrait de mon journal de bord : « Dans la tête, c’est encore plus dur que physiquement. C’est très très dur d’être patient. Il faut penser au quotidien en essayant de ne pas songer à ce qu’il reste à marcher. C’est quasiment impossible. »

8ème jour : mardi 6 juillet

Bonne nuit pour tous les 2. Au réveil, le ciel paraît menaçant. Nous partons direction Py. La pluie se met à tomber doucement puis de plus en plus fort. Bien entendu, je me suis rendu compte la veille au soir que j’avais oublié mon poncho aux Cortalets. Je le visualise bien propre après ma rapide lessive, accroché à une étagère pour le faire sécher ; il me nargue en pensée. J’enrage contre moi-même. Je sors mon sac poubelle de 100 litres servant habituellement a emballé le sac qui, la nuit, dort à l’extérieur de la tente faute de place. Je l’applique tant bien que mal sur mon sac à dos et en avant ! Tant pis pour moi.
La végétation a complètement changée par rapport aux flancs du Canigou, nous descendons, la nature est plus verte presque luxuriante. Vers 8h45, nous parvenons à Py et nous mettons en quête d’un abri provisoire ; la pluie redouble. Nous trouvons un café, encore fermé. En attendant l’ouverture, nous nous abritons sur la terrasse protégée par quelques toiles tendues. L’humidité de mes vêtements me fait grelotter.
Après un grand café qui arrive tout juste à nous réchauffer, nous repartons sur une petite portion de route. Le goudron est défoncé et rapiécé de tout part, tout le monde roule en 4/4 : les hivers doivent être rigoureux ici. Le chien du café nous escorte jusqu’au début du chemin en terre ; il s’arrête et semble nous souhaiter « bonne marche » avant de faire demi tour. Le soleil se décide à sortir et nous le fait payer. Je transpire, transpire, transpire…
Nous arrivons à Mantet, charmant petit village blotti aux pieds des montagnes. Uniquement bâti de maisons de pierres, nous le visitons inondé de soleil. Plusieurs pancartes « à louer » aux fenêtres, la réserve naturelle, qui n’est certes pas très étendue, doit attirer des touristes. Nous buvons un coca à la terrasse d’une sorte de caravane aménagée en buvette. Elle est tenue par un jeune de notre âge environ. Nous sommes les seuls clients. Assis sous l’ombre d’un parasol, il fume une roulée face aux montagnes ; sa cassette de jazz manouche emplit l’air d’une sérénité apaisante. Le temps s’arrête. Pendant un instant, je l’envie. Toujours être de passage sera parfois difficile à accepter.
En l’occurrence, si nous avions su ce qui nous attendait cette fois là, nous ne serions pas repartis de la même manière. Nous croisons plusieurs groupes de personnes revenant de promenade. Nos derniers randonneurs de la journée. Le sentier fort agréable bordant la rivière de la réserve naturelle nous mène vers un col. Peu à peu, le ciel s’obscurcit. Nous attaquons un raidillon abrupte, exténuant ; il me brise les jambes. Olivier souffre : c’est rare qu’il soit derrière moi dans les montées. Je l’encourage, le souffle court. Le vent redouble, il devient glacial. Ces brusques écarts de températures se révèlent épuisants en fin de journée. On ne sait jamais comment se couvrir. Avec la chaleur de l’effort, on se découvre puis lorsque l’on s’arrête pour boire, on se recouvre. Une manœuvre effectuée une dizaine de fois par jour.
Pendant que nous grimpons, la grisaille se renforce. Arrivés sur un replat herbeux en pente douce vers le col, nous ne sommes plus protégés par les montagnes. Tout à coup, le vent nous assène une véritable claque dans la gueule. Je pourrais comparer cela à une moto sur l’autoroute qui finit de doubler un camion. Les éléments se déchaînent. Des rafales cinglantes de fine pluie nous fouettent de côté, à présent c’est une vraie tempête. Ne s’entendant pas parler, nous restons chacun claquemurés dans notre silence. Il faut vite marcher pour quitter ce lieu d’apocalypse ! Nous passons le col à 2294 mètres ; nous avons fait 800 mètres de dénivelé positif depuis Mantet.
En descendant, le ciel s’assagit. Notre carte indique un refuge non gardé nommé « Jaça dels Clots » où nous comptions passer la nuit. A sa place, nous ne découvrons qu’un amas de pierres et de poutres en bois sur lesquelles les herbes ont repoussées. Le choc est rude ! Nous l’encaissons difficilement après une marche quotidienne conséquente. Que faire ? Le doute demeure un des pires maux du marcheur. La prise de décision s’amollit en fin de journée. Je veux continuer, il y a un refuge gardé, certes assez éloigné pour notre état, mais je sais qu’on peut y arriver.
Nous marchons, fatigués, encore plus de deux heures. Mon cerveau se met alors malgré moi sur position « off ». Pendant une durée indéterminée, je n’ai plus conscience que je marche. Mon corps et le monde extérieur n’existent plus. Ce sont mes pieds qui me réveillent brusquement en hurlant : « pitié ! ».Les dernières heures de marche auront été atroces pour moi, mon pantalon transformé en short à cause de ce foutu chien offre mes jambes nues à la morsure cinglante de la pluie et du vent glacé, j'ai l'impression de me prendre des milliers d'aiguilles dans les jambes...
Le refuge de la Carança nous apparaît enfin, les cloches à vaches nous souhaitent la bienvenue. Nous optons pour un dîner et une nuit au refuge dans lequel il n’y a d’ailleurs ni eau courante, ni électricité. Le gardien d’une trentaine d’années a la parfaite allure cool et zen du moniteur de ski de l’ESF. Plutôt sympa comme job d’été ! Nous sommes arrivés in extremis pour manger : il est 19h15, le repas est servi à 19h30. Heureusement que nous ne sommes que deux sinon il nous aurait refusé. Au dîner, nous baffrons avidement nos spaghettis carbonaras faisant ainsi l’admiration de nos voisins de table et futurs compagnons de dortoir. Je suis tellement heureux d’être auprès d’autres personnes ; c’est inhabituel chez moi mais le contact humain me rassure.
Je découvre la raison d’une douleur à un pied. Cette sensation particulièrement pénible me forçait à ne pas trop appuyer dessus. Au gros orteil, l’ongle est rentré dans la peau s’enfonçant un peu plus à chaque pas. J’en sors un liquide verdâtre ; je nettoie et désinfecte espérant être remis pour le lendemain sachant qu’il faudra ré envelopper tout ça sous deux couches de chaussettes crasseuses.
Nous avons marché plus de 10 heures. Dans mon carnet de bord, je note : « Journée exténuante. Plus jamais ça… » Et je m’écroule.

 

9ème jour :  Mercredi 7 juillet

Hier soir, nous hésitions à dormir sous la tente près du refuge. Nous avons bien fait d’éviter, il paraît qu’il a plu toute la nuit sans s’arrêter. C'était en réalité un bel orage. Moi, je n’ai rien entendu, trop crevé. Au réveil, il pleut encore ; nous partons donc plus tard.
Le vent incessant est encore au rendez-vous. Pour nous réveiller, nous avalons directement plus de 600 mètres de dénivelé positif. Brutal comme échauffement ! Le col de la Mitja (2 367 m) encadré de deux pics sert de corridor à un vent de Sibérie. Olivier ne porte d’ailleurs qu’un short, ayant découpé son pantalon avec mon Laguiole suite à la rencontre du chien fou.
La large vallée de Font-Romeu s’offre à nos regards. Le temps de prendre quelques photos, deux jeunes garçons arrivent, allures de rugbyman, bérets vissés sur la tête. Ils me font bonne impression. Ils veulent aller jusqu’à Banyuls. Nous nous échangeons des informations sur nos parcours à venir. Après les avoir quittés, Olivier et moi restons sceptiques sur leur vitesse de progression. Et en effet, nous mettrons la moitié moins de temps qu’eux pour rallier le point de départ de leur randonnée.
Halte vers 12h30 au refuge de l’Orry, cabane minuscule et insalubre. Elle est divisée en deux : une partie réservée aux bergers, l’autres aux randonneurs. De notre côté, le toit laisse entrevoir une large fuite et quelques matelas mousses semblants bourrés de vermines tiennent lieu de lits. Il y a là deux chaises usées jusqu’à la corde et une table en fer dont la peinture est partout écaillée ; en tout cas, assez pour manger en paix à l’abri du vent.
Nous sommes cependant agacés par la présence, certes passive mais toutefois gênante, de deux bergers en voie de clochardisation. N’ayant pas répondu à nos salutations à notre arrivée, ils nous paraissent d’emblée antipathiques. Leurs chiens surveillent nos faits et gestes, nous les sentons prêts à bondir. L’un des deux types, au look rasta, reste pendu à son téléphone portable dont il a, apparemment, appris l’usage avant celui du savon. Nous déguerpissons prestement.
La suite du chemin se résume en une longue descente jusqu’à Planès où nous nous arrêtons vers 16h. Repos. Nous bivouaquons dans un pré de hautes herbes à 100 mètres de la maison que louent tous les hivers depuis des années, un oncle et une tante. J’y suis déjà venu, je reconnais les fenêtres de l’appartement. Soudain, je me sens seul. Horriblement seul. Mon moral chute instantanément. Je crois que nous n’avançons pas assez vite. J’ai la sensation d’être une fourmi au milieu du Sahara. Nous débutons la troisième carte, il en reste 7 ! Mon cerveau se court-circuite à force de calculs, de prévisions et de questions sans réponses. Je me mets à douter sérieusement de mes capacités à réussir. Depuis notre départ, l’angoisse me ronge. J’ai la trouille d’abandonner sans raison sérieuse. Evidemment, mon orgueil vis-à-vis de mon entourage en prendrait un sacré coup : nous avons criés sur les toits pendant un an que nous allions faire la traversée des Pyrénées. Mais surtout, je ne me pardonnerais jamais un échec pur et simple, un abandon sans cause réelle serait une trahison contre ma propre volonté.
Mon stress finit par rejaillir sur Olivier et crée une petite tension entre nous. C’est de ma faute, il faut que je me calme. Mais dans ma tête, ce soir là, les Pyrénées devenaient infranchissables.
Pour changer ce soir j'ai les jambes cramées par le soleil, mes molets et mes cuisses sont rouges ça me brûle. J'aurais encore de nombreuses fois l'occasion de maudir le propriétaire de ce chien...

 

 

10ème jour : jeudi 8 juillet

_ Le vent ne s’arrête donc jamais ici !
Toute la nuit, notre tente a été malmenée en tout sens par de violentes bourrasques. Elle a tenue le coup. Eole nous en veut, ce n’est pas possible autrement. Malgré le beau temps, les températures restent basses. Nous décollons assez tard.
Le sentier se promène à travers champs, nous avançons tranquillement. Nous atteignons « La Cabanasse » où je vais enfin, trouver une Poste ouverte ! Alléluia ! J’expédie de la nourriture, des cartes et des pellicules à Gabrielle. Mon sac et mon dos apprécieront.

Etant donné que nous avions calculé nos rations journalières de façon précise, cela signifie, théoriquement, qu’il nous manquera de la nourriture pour la fin du voyage. Mais, cela va avoir plusieurs conséquences bénéfiques. Nous n’allons plus manger chaud le midi ; donc, nous allons gagner du temps – n’ayant plus à monter et démonter le réchaud – et surtout, l’effet qu’auront une tranche de pain et un bout de saucisson, relèvera de la magie pour notre moral. Le lyophilisé comble un vide mais ne procure aucun plaisir. Ce jour là, après la Poste, nous achetons une grosse miche de pain et un saucisson. Nous en salivons d’avance. Ce menu de midi sera plus tard agrémenté d’un bout de gruyère et de deux carrés de chocolat en dessert. Pain, saucisson, gruyère, chocolat demeurera notre repas invariable du midi jusqu’à la fin. Hormis une pomme, une ou deux fois. Et tous les soirs, un « dîner » chaud.
Après manger, nous marchons paisiblement. Nous discutons beaucoup. Le vent a balayé mes angoisses de la veille au soir. Nous sommes détendus car notre journée prévue est courte jusqu’au lac des Bouillouses ; nous y arrivons vers 16 heures.
A peine Olivier a-t-il posé la main sur la poignée de porte du refuge qu’un homme nous tombe littéralement dessus.
_ C’est vous les deux deux grands gaillards qui faîtes la traversée ?
_Euh… la traversée, oui. Mais, deux grands gaillards...
_Parce que moi aussi.
Nous engageons la conversation. Il nous explique qu’il emprunte la HRP et qu’il est parti le 1er juillet de Banyuls. Il nous a donc rattrapé et dépassé. Il nous explique tout : son départ, ses buts, ses galères… Qu’est-ce qu’il parle ! Cet intarissable tchatcheur se prénomme Patrick et fête ses 50 ans en faisant ce qu’il appelle son « quinquatrip ». A cet instant, nous ne nous doutions pas de l’importance qu’il allait tenir dans notre aventure.
Il nous paie un coca et, après m’être méfié un peu, je me détends. Nous apprenons par lui, sans une certaine fierté, qu’il a entendu parler de nous (apparemment, en bien !) dans différents lieux d’étape et par des gens qu’il croisait. Notamment, le patron du gîte de Batère (voir 6ème jour) qui lui aurait confié : « Il y a deux jeunes qui font la traversée, alors eux, ils vont y arriver ! » Il a donc pressé le pas pour nous rattraper ce qu’il a aisément fait ayant 10 kilos de moins que nous sur le dos.
_ T’as volé le sac à Gargantua !
Patrick est estomaqué par le sac d’Olivier. Recouvert d’un sursac argenté, on pourrait, en effet, croire qu’il porte un énorme rocher. Un menhir transporté par un Obélix post-thalassothérapie. C’est, en outre, grâce à cela que les gens nous remarquaient. Ayant aperçu ce fameux sac par la fenêtre du refuge – où nous n’avions d’ailleurs pas prévu de nous arrêter – Patrick s’était douté qu’il s’agissait bien des deux jeunes effectuant la traversée. Nous resterons avec lui pour manger et dormirons au refuge, la pluie s’étant invitée à la fête.
Le reste de la soirée se déroule dans une ambiance magique et indescriptible. Une personne se joint à nous pour manger : il est artiste peintre. Un autre homme continue de converser avec nous pendant que nous mangeons ; les discussions se croisent. Mille sujets sont abordés et il est difficile pour moi de tous les retranscrire. Les débats sont parfois animés, mais, pour la première fois, je ressens un lien de camaraderie entre des gens qui ne se connaissaient pas une heure avant. Nous partageons nos vivres, nos sensations et nos opinions. Olivier et moi sommes détendus et joyeux de faire partie d’un petit groupe, même éphémère. Je me rends compte avec cette soirée que dans notre frénétique recherche d’autonomie, nous avons injustement délaissés tout un pan de ce que doit aussi procurer un voyage : la rencontre de l’autre.
Il est maintenant temps d’aller se coucher et de penser au lendemain. Toujours penser au lendemain ! Quel itinéraire ? Jusqu’où aller ? Où dormir ? Et si le temps est mauvais ? Questions invariables, à écarter rapidement cependant, pour pouvoir dormir. Je les accepterais peu à peu au fil de ce voyage. Et je comprendrais plus tard – certes un peu trop – que ces interrogations constituent l’essence même de l’Aventure.

11ème jour : vendredi 9 juillet

Hier soir, à papoter, nous nous sommes finalement couchés assez tard. Sommeil excellent pour ma part malgré les deux, trois réveils habituels dans la nuit.
Le GR longe le lac ; nous l’empruntons sous un magnifique soleil levant. Silence et solitude. Moments de plénitude. Nous mitraillons de photos tous les alentours. Lors d’une pause, Patrick qui avait pourtant démarré avant nous, nous rejoint. Déçu de n’avoir pas pu trouver de compagnon pour gravir le Carlit (2921 mètres), il est redescendu sur le GR. Je sens qu’il essaie de nous convertir gentiment. Mais, nous sommes trop chargés. Il décide de faire l’étape avec nous. Heureux de cette nouvelle recrue, nous passerons une excellente marche en sa compagnie ne cessant de bavarder de choses et d’autres. En sa présence, le moral semble ne pas pouvoir baisser.
Nous faisons face à plusieurs névés de taille respectable, je préfère les éviter. Olivier s’y risquera à l’aide d’un bâton de Patrick, il me collera quelques sueurs froides. Je dois, sans exagérer et sans en connaître la raison, trébucher une cinquantaine de fois par jour. Parfois, il y a grosse gamelle ! Je ne vais donc pas tenter ma chance sur la glace. Particulièrement les premiers jours, je redoutais l’entorse ; je l’attendais presque. J’ai tellement trébuché que je pourrais en faire une typologie. Il y a les latéraux, à gauche ou à droite, quand la cheville ne porte plus le poids. Quand le pied bute contre un obstacle (c’est le plus agaçant!). Il y a également les glissements soit du talon auquel cas le corps bascule en arrière, soit ceux de la pointe avec un résultat inversé. Fou, non ?! (On a vraiment le temps d’analyser les choses quand on marche !) J’en connais d’autres mais ils sont trop compliqués à expliquer de façon théorique. Bref, mon pied deviendra plus sûr avec le temps et tout ceci sera oublié.

Ce jour restera en tout cas gravé dans ma mémoire comme le premier offert comme récompense de nos efforts, grâce à la beauté des paysages. La lumière dorée illumine les sommets enneigés. Pureté de l’air, de l’eau et du ciel. Point culminant de ce jour de réjouissances au col « portella de la grava » qui nous dévoile un panorama grandiose sur l’étang de Lanoux. Une telle splendeur nous fait oublier les douleurs et le froid pénétrant. Pour la première fois, et heureusement pas la dernière, nous en prenons plein les yeux. Nous jubilons et savourons.
C’est au bord de l’étang que nous quittons le GR10 pour le GR7 qui nous conduira à Porté Puymorens puis en Andorre. Nous avons choisi de contourner toute une partie des Pyrénées françaises réputées pour son mauvais temps et ses dénivelés exténuants. Notre prévision devrait donc nous mener en Andorre où nous récupèrerons le GR11 (homologue espagnol du GR10) puis en Espagne.
Après un long et ennuyeux chemin à flanc de montagne, nous débouchons sur Porté Puymorens. Nous en avons fini avec les Pyrénées orientales.

J'ai les jambes cramées mais je suis heureux comme tout; cette étape était formidable de plus, on a vraiment bien avancé, il faut croire que l'on a un bon rythme. Patrick a même avoué avoir eu du mal à nous suivre sur la fin. Ce qui a le don de me flatter vu ce que l'on porte par rapport à lui.

12ème jour : samedi 10 juillet

Nous nous sommes arrêtés dans un gîte d’étape à Porté Puymorens. Hier : 7h30 de marche. Autant dire que nous avons bien dormis. Nous avons partagés la soirée avec des Ecossais en vacances. Une occasion pour moi de tester un peu mon anglais : ça va, je me fais comprendre. Patrick a décidé de nous quitter et d’aller rejoindre le HRP plus au nord. Nous échangeons nos numéros de portables, certains de nous recroiser quelque part, sur le GR11 ou ailleurs. Pourquoi pas ?
Par une matinée ensoleillée, nous partons sur le GR7 en nous fixant un but : le refuge de l’Illa en Andorre. Il est assez loin. Nous suivons une petite rivière qui nous mène sur les bords de deux étangs. Quelques couples se promènent tranquillement en profitant du paysage et de la compagnie de quelques vaches.
Un col se profile à l’horizon. Une fois de plus, le temps se dégrade en quelques dizaines de minutes. Adossés à un gros rocher pour nous protéger du froid qui nous étreint, nous avalons un bout de saucisson pour nous donner l’énergie de passer le col. A son sommet (2521 mètres), une borne de la FFRP indique la fin du territoire français. En effet, le « Portella blanca d’Andorra » possède la particularité d’être une triple frontière. A l’est : la France. A l’ouest : l’Andorre. Au sud : l’Espagne. Un endroit sans doute apprécié par les contrebandiers d’autrefois.
Il nous faudra emprunter deux vallées et franchir un autre col à 2517 mètres avant d’arriver au refuge. La journée s’annonce encore une fois physique. En tout cas, la vue que nous offre ce col n’est guère réjouissante. Une petite vallée sombre, déserte, semblant être oubliée de tous. Sous un ciel noir et nuageux, nous reprenons notre marche forcée dans une ambiance de fin du monde. Je suis très tendu, rendu mal à l’aise par ce décor et la fine pluie qui commence à tomber.
Nous n’échangeons pas un mot. Un silence pesant s’installe alors que nous marchons à toute vitesse en espérant éviter la pluie. Cette absence de sons – à part le bruit des pas ou du vent – provoque parfois des quiproquos absurdes. Nous croyons entendre des voix à tour de rôle.
_ Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?
_ Quoi ?
_ Tu ne m’as pas parlé ?
_ Non, j’ai rien dit.
_ Ah bon, j’avais cru, désolé.

La marche devient alors très intérieure. Des flots de pensées nous traversent sans arrêt. Nous commençons aussi à ressentir tous les deux un cruel manque de musique. Nos cerveaux vont se transformer peu à peu en véritables juke-boxes aléatoires. Je me souviens d’ailleurs de ce jour pour avoir ruminé malgré moi une chanson affligeante et en avoir retrouvé toutes les paroles !
La pluie se renforce. Nous arrivons sur un abri en pierre ; humide et plutôt précaire. Deux hommes y sont déjà installés, nous ne pourrons donc pas y dormir. Nous nous préparons tout de même une purée – vite fait, mal fait – histoire de nous réchauffer avant de repartir. Les nombreuses heures qui suivent avant le refuge de l’Illa deviennent interminables et terriblement douloureuses. Nous pataugeons dans un sentier boueux et détrempé, glissons sur les cailloux et les mottes d’herbes couchées. Humides de la tête aux pieds : à l’extérieur, à cause de la petite pluie continuelle et à l’intérieur par la transpiration. Au moindre arrêt, le souffle du vent nous refroidit instantanément.
Nous passons le dernier col avant le refuge comme on passe une ligne d’arrivée derrière laquelle, généralement, on s’écroule. C’est presque le cas. Le refuge (non gardé) est un bâtiment en pierre tout en longueur. Plusieurs salles sont aménagées en dortoirs grâce à des sortes de grands lits superposés en métal. Transis de froid, nous pénétrons dans l’une des pièces, l’œil hagard. Un groupe de quatre jeunes allemands est assis silencieusement à une table et un groupe d’espagnols installe ses affaires dans une pièce voisine, ils essayent désespérement de faire du feu avec le peu de bois humide qu'ils arrivent à trouver aux alentours du refuge, j'essaye de les aider j'irais même jusqu'à sacrifier un peu d'essence dans l'espoir de le faire démarrer, peine perdue. Il fait presque aussi froid qu’à l’extérieur. Le vent en moins, c’est déjà ça. En attendant de dîner, nous nous faisons chauffer un chocolat puis courrons nous allonger tout habillés dans nos duvets, recouverts d’une couverture sale qui traînait dans un coin. Nous avons pris soin de mettre la main sur les deux seuls bouts de matelas mousse laissés ici pour pouvoir mieux s’isoler du froid de la structure métallique des dortoirs. Je n’arrive toujours pas à me réchauffer.

A ce moment là, arrive un groupe de huit français, des toulousains, d’une moyenne d’âge de 40 ans. Ils parlent extrêmement bruyamment et semblent être arrivés ici pour faire la fête. Dès leur entrée, je me sens mal à l’aise.
Olivier et moi décidons de manger tôt pour pouvoir aller se coucher. A ma gauche, les quatre allemands préparent de petites crêpes qu’ils recouvrent de toutes sortes d’ingrédients. A ma droite, les toulousains ont apporté de la bouffe pour nourrir un régiment. Ils ont du rouge, du blanc et même les cacahuètes pour l’apéro. Nous, au milieu, nous crevons de faim.
Les français commencent à s’adresser aux allemands – qui n’avaient rien demandés – en évitant nos regards et nos sourires crispés. Un des types leur propose de goûter au vin « bien français ».
_ Tu m’en diras des nouvelles de celui-là ! Ja ! Gut !Gut !

Bien sûr, ils nous oublient consciencieusement dans leurs offres de dégustation. Je comprends que, devant les collègues de boulot, il doit paraître moins exotique de raconter sa rencontre avec deux lyonnais plutôt qu’avec quatre allemands dans un refuge en Andorre. Je me refuse à leur demander quoi que ce soit. Nous allons nous coucher.

Le repas gargantuesque des français se prolongea, malheureusement, tard dans la nuit. Plusieurs hurlements et éclats de rire me firent sursauter. Des bouffées de rage m’envahirent à chaque fois. Mais, avec la fatigue, nous ne tardâmes pas à trouver le sommeil malgré le froid nous glaçant jusqu’aux os.

13ème jour : dimanche 11 juillet

Notre sommeil fût de plomb. Dehors, il a gelé. Tout le monde a l’air frigorifié. Nous nous félicitons d’avoir déniché les matelas mousse et les vieilles couvertures.
Nous partons dans le froid et l’humidité. Nous accusons un peu le coup de la journée précédente. Prochain arrêt : Encamp. Petite étape.
Le sentier est une longue et douce descente. Un troupeau d’ânes nous ouvre la route pendant plusieurs centaines de mètres. Pour déjeuner, nous nous arrêtons dans un restaurant à côté du lac d’Engolasters, site apparemment très touristique. Puis, nous discernons les toits d’Encamp. Des immeubles, des chantiers, des grues… Nous ne sommes pas emballés par le panorama. Arrivés en ville, nous nous mettons en quête d’un camping (que nous trouvons rapidement). Olivier doit absolument s’acheter des chaussures et un pantalon. Malheureusement, malgré tout ce que l’on nous a affirmé sur le chemin, la ville entière semble fermée aujourd’hui. Nous ne trouvons qu’un seul supermarché ouvert, nous achetons de la nourriture pour le soir et les prochains jours.

De retour au camping, nous essayons de joindre Patrick par téléphone. Je lui laisse un message en espérant qu’il avance bien. Un lien s’est formé entre nous. Nous l’imaginons sur son chemin parallèle au nôtre, affrontant les mêmes épreuves, savourant les mêmes plaisirs.
Dans l’atmosphère rassurante du camping, nous savons que nous allons bien dormir.

14ème jour : lundi 12 juillet

Réveil à 7 heures. Le magasin que nous avons repéré la veille n’ouvre qu’à 9h30. Le temps d’une douche et d’un café et nous y filons. Le propriétaire est français, originaire de Nantes. Nous discutons longuement. Avec amour, il nous parle de son pays d’adoption : l’Andorre. Il nous la vend mieux qu’une brochure touristique.
Une chose est sûre : c’est le royaume du fumeur ! Les cigarettes coûtent le tiers du prix français, elles se vendent par cartouche dans n’importe quelle supermarché et l’on trouve des cendriers tous les dix mètres dans les rues. Le gouvernement andorran devrait songer dès maintenant à ouvrir des hôpitaux pour les cancéreux.
Olivier trouve son bonheur, nous achetons également une carte d’Andorre. Avec tout ça, le départ du camping se fera tard, vers 11h. Depuis hier, nous nous sommes relâchés. La reprise est une gifle. Dans les montées, je souffre, suffoque, transpire… Je me fais violence pour avancer.
Au col d’Ordino, un français nous aborde. Notre périple semble l’intéresser. Il nous offre une bouteille d’eau minérale qu’il sort de sa voiture « bric-à-brac ». Son coffre et ses sièges arrières sont écrasées par un désordre impressionnant de nourritures et de boissons en tout genre. Il voyage avec ses réserves personnelles avec lui, comme un escargot. Petit clin d’œil (goguenard), la marque de l’eau minérale est OGEU, une source du pays basque.

_ Quand vous serez là-bas les gars, vous serez plus près de l’arrivée !

Après le col, dans la descente, un couple de personnes âgées (de Clermont-Ferrand) engage la conversation alors que nous faisons une pause pour boire. Ils sont tous deux âgés de 80 ans. Leurs encouragements nous font chaud au cœur.
Ces rencontres, ces brefs instants de partage nous flattent et nous donnent l’envie de poursuivre notre aventure. Depuis notre départ, c’est la première fois que nous sentons le regard des gens changer. Après 14 jours de marche, ils nous prennent enfin au sérieux.
Le soir venu, nous bivouaquons au bord du GR11. Nous entendons, une fois couchés, les promeneurs passer à quelques centimètres de nos têtes.

 

15ème jour : mardi 13 juillet

Mauvaise nuit sous la tente. Nous nous réveillons déjà fatigués. Quand on dépense autant d’énergie à lutter contre le froid, il en reste moins pour marcher ensuite.
Nous cherchons un café pour nous réchauffer avant d’attaquer. Il est 8h, tout est fermé. En Andorre, tout ferme tard mais par conséquent, tout ouvre tard. Nous avalons 500 mètres de dénivelé positif pour passer un col à 1958 mètres. Je n’avance pas. Souffrances. Enervements. Après la montée vient … la descente. Bravo ! Arinsal nous présente ses charmes de petite station de ski. Le refuge non gardé que nous visons est un peu plus éloigné. Encore 500 mètres de dénivelé à grimper.
Nous y arrivons en début d’après midi. L’endroit est féerique. Le refuge du Pla de l’estany se love au creux d’un cirque majestueux, lézardé de cascades. A l’intérieur de la bâtisse en pierre, nous trouvons des dortoirs et une cheminée. Le tout d’une propreté impeccable, à faire pâlir n’importe quel refuge non gardé français. A l’extérieur est aménagé un tuyau, au dessus d’un rondin de bois creusé, d’où s’écoule de façon constante un filet d’eau pure et fraîche. Nous sommes aux anges.
Sieste. Petite lessive mal faite. Nous essayons d’allumer un feu dans la cheminée mais nous n’arriverons qu’à remplir la pièce d’une épaisse fumée blanche. Nous capitulons, après plusieurs tentatives, les yeux rouges et les bronches encrassées.
Par la fenêtre, nous voyons arriver en fin de journée, plusieurs personnes. Nous les comptons, ils ont l’air nombreux. Ils sortent leurs tentes et s’installent finalement à quelques dizaines de mètres. Deux jeunes gens viennent à notre rencontre sur le pas de la porte. C’est une famille de tchèques. Les deux garçons voulaient vérifier si il restait beaucoup de place, ce qui n’est pas le cas. Ils n’ont pas l’air de vouloir discuter. Tant pis. J’aurais aimé en savoir davantage sur eux.
La nuit tombée, en écrivant nos journaux de bord à la lueur des bougies, nous avons le sentiment d’être au bout du monde. Nous savons que demain sera difficile. Nous n’avons pas de carte d’Espagne et il y a 700 mètres de dénivelé pour passer le cirque et franchir la frontière à 2743 mètres. Nous ne nous doutions tout de même pas à quel point cette journée serait éprouvante.

16ème jour : mercredi 14 juillet

Je sais qu’à cette date, Olivier n’a rien noté dans son carnet, trop écoeuré et fatigué pour écrire. Quant à moi, j’ai inscrit : « une journée à oublier. »
Avec une année de recul, je crois que c’est peut être grâce à ce type d’expérience que l’on apprend le plus.

Jour de fête nationale française. Malheureusement, nous ne verrons aucun feu d’artifice. Ce si joli refuge nous a trompé et nous nous réveillons glacés jusqu’à la moelle. Nous partons sous un « ciel bas et lourd » et dans un air saturé d’humidité. Des fines gouttes s’accrochent à nos vêtements, nos cheveux, nos cils…
Pour éviter une pente trop abrupte, le sentier décrit de larges lacets sur les flancs du cirque. Et à mesure que la sente rétrécit, les degrés dégringolent. La tension monte en même temps que nous. Le vent forcit, la visibilité s’estompe. Au bout d’une heure, nous ne décrochons plus un mot, tout entier que nous sommes à assurer nos pas pour prévenir la chute qui, ici, ne pardonnera sûrement pas. Chaque motte d’herbes couchées, chaque barre rocheuse détrempée et glissante est autant de pics d’adrénaline injectés dans nos corps.

Certains passages sont tellement verticaux qu’il faut éviter de se pencher du côté de la paroi car le sac en frottant contre elle crée un déséquilibre. Puis, la pente se fait moins vertigineuse. Répit de courte durée. Là, s’étale un énorme névé dans la longueur du chemin. Nous tentons de nous faufiler sur ses bords mais la glace se dérobe sous nos pieds. Coincés entre la roche et la glace, la progression est épuisante.

Mes mains rougissent, je n’arrive plus à les bouger normalement. Nous n’avions pas prévu un froid si extrême et donc pas de gants. Avec nos simples t-shirts et nos polaires fines, je prends conscience de la légèreté de notre équipement et de la situation dans laquelle nous sommes.
Le vent redouble d’intensité et nous gèle sur place. Nous faisons face à deux autres névés d’une cinquantaine de mètres de long. Entourés d’une brume macabre, nous cherchons chacun notre voie.
Nous découvrons, sur une hauteur, une cabane en ferraille dont la structure est solidifiée (comme une toile de tente) par des câbles tirés à chaque extrémité et enfoncés dans le sol rocheux avec des pitons. Vu les conditions météo, nous comprenons pourquoi.
Je m’y abrite quelques minutes pendant qu’Olivier trouve le courage d’aller prendre des photos. La morsure du froid nous est insoutenable même à l’intérieur de cet abri de fortune. Il faut rester en mouvement à tout prix.

Apogée du cauchemar à 2650 mètres d’altitude. Andorre nous refuse la permission de sortie. Une vision à couper le souffle. Une beauté dangereuse. L’image que j’ai de ce que peut être un décor himalayen. Les deux étangs sur notre droite et tout le versant sur lequel serpente le GR sur notre gauche sont recouverts d’une épaisse gangue de glace. Avec le poids que nous avons sur le dos, impossible de passer sans risquer réellement nos vies. Il faut réfléchir vite, trouver une solution. Il n’y en a qu’une : demi-tour. Deux heures de montée et d’efforts pour rien. Redescente physique et mentale.

Aussi fou que cela puisse paraître, il fait un soleil radieux à notre arrivée au refuge. Les deux tchèques nous demande la raison de notre retour. Nous tentons d’expliquer trop abattus pour y mettre du cœur. Je perçois un certain scepticisme chez mes deux interlocuteurs. Comment les blâmer ? Même nous, nous n’arrivons pas à croire qu’il y a une heure, nous étions congelés et que nous avions peur pour nos vies. Notre moral ne sera plus jamais aussi bas de toute la traversée.

François part cinq minutes faire des photos pour lacher la pression, résultat chez moi elle monte, je me met soudain à chialer comme un gosse, en faisant semblant de regarder le paysage pour ne pas que François s'en apercoive, toute la pression que j'avais accumulé depuis le début de cette foutue traversée part dans mes larmes; il fallait que ça craque. Je sèche mes pleurs, François revient; je découvrirais plus tard qu'il ne s'est aperçu de rien, je croyais qu'il avait fait semblant de ne rien voir pour ne pas remuer le couteau dans la plaie...

Il faut redescendre sur Arinsal et prendre une décision sur la direction à suivre. Rebrousser chemin est une épreuve terrible que nous ressentons comme un échec.
Nous mangeons une assiette dans une sorte de cafétéria mais nous n’arrivons pas à réfléchir de façon lucide. Je me rend compte aujourd’hui, à quel point nous devions être désoeuvré car en me penchant sur la carte je m’aperçois que nous avons, après cette mésaventure, fait n’importe quoi.

Pour nous remettre du baume au cœur, nous décidons de tricher un peu en empruntant les « œufs » de la station. La punition fût immédiate et triple : le prix exorbitant, la mauvaise conscience et le fait qu’ils ne nous avancèrent pas autant que nous le pensions.
Nous nous retrouvons donc à marcher sous un soleil de feu (transpiration !) sur des pistes de ski fantômes, sans savoir exactement où nous allons.
Arrivés sur la crête, nous apercevons une route de l’autre côté, en contrebas. Le problème : la pente est, par endroit, plutôt verticale. Nous allons mettre un temps insensé à rejoindre cette route. Je décide de descendre en glissant sur le cul. Tenir debout m’effraie trop.
J’en ai marre, marre, marre de cette journée où rien ne semble tourner rond. Une fois la route atteinte, je craque. Je suis secoué de sanglots incontrôlables pendant une demi heure. La peur rétrospective du matin (je sais que si nous nous étions obstinés à passer cela aurait pu mal tourner), la tension nerveuse, l’énorme différence de température entre le matin et l’après midi, la fatigue accumulée… tout ça me tombe dessus d’un coup. Mais, je continue à marcher.

Le goudron étale son ruban sur deux kilomètres avant la frontière. Au col, la différence est saisissante : du côté andorran, un macadam parfait, des glissières de sécurité et des bornes kilométriques ; du côté espagnol : une piste de cailloux.

Olivier, suite à une conversation avec un touriste au col m’annonce qu’il y a un refuge plus bas. Ce dernier se révélera être inexistant. Cela sera d’ailleurs déclencheur de la première et dernière dispute entre nous. Mésentente qui ne durera que cinq minutes et clôturera en beauté cette journée mémorable. Nous dressons la tente au bord de la piste, sur les cailloux.

Si cette journée nous a permis de découvrir nos limites personnelles et à être humbles face à la montagne, elle nous a aussi appris à découvrir la force de l'amitié. Je sais aujourd'hui que c'est cette engueulade qui a déterminé pour moi l'importance de terminer cette aventure avec François. Si il y a un jour où on aurait pu se lacher, c'était celui là; et ce n'est pas arrivé...

Il y a comme ça des jours où l’on en apprend plus que d’autres sur soi-même.

17ème jour : jeudi 15 juillet

Réveil. Soleil. Tout à l’air de bien débuter aujourd’hui. Après seulement quelques minutes de marche, nous débouchons sur un hameau plus que rustique : Tor, dont nous avons appris l’existence grâce à un couple de tchèques (encore) rencontrés après la frontière.

Cela constituait en outre un point d’achoppement entre moi et Olivier, hier. Lui, me soutenant que nous avions sans doute, involontairement, contournés ce village et moi, persuadé qu’il était encore devant nous. Je dois donc aujourd’hui retourner le couteau dans la plaie : Olivier, tu avais tort pour Tor ! (Elle était facile.)
Nous en profitons donc pour effectuer une courte halte café-madeleines (rances) chez une dame polyglotte et haute en couleur. S'engeulant avec son mari pendant qu'elle nous sert, le peu d'espagnol que je pratique m'a permit de comprendre que c'était un paresseux (dixit notre hôtesse). Le plus amusant fût quand pour payer, il fallut que j'aille la chercher dans la grange où elle était en train de traire sa chèvre, elle n'avait pas l'air d'avoir peur que l'on parte sans payer. Elle me rend la monnaie bien protégée de tout risque de rouille par une bonne couche de graisse à traire. C’est elle qui nous indique la direction à suivre pour les prochains jours (nous n’avons pas de carte d’Espagne) : Alins, Llavorsi puis Espot où nous pourrons récupérer le GR11.
S'ensuit une longue marche sur une piste au milieu de montagnes arides me rappelant les fameux western spagetti de mon enfance...Puis la route et son bitume qui brûle la plante des pieds comme si l'on marchait sur des charbons ardents. On s'installera dans un champ, juste à côté du camping de Llavorsi,afin d'y passer la nuit...

18ème jour : vendredi 16 juillet Espot

Aujourd'hui, tout commence bien, malgré une nuit agitée suite à une attaque de taupe tentant d'investir notre tente par le dessous, heureusement quelques coups sur le sol ont vite fait de l'effrayer avant qu'elle ne perce notre tapis de sol...
Ouf, plus de peur que de mal, en fait ça nous fera même beaucoup rire... au réveil.
Le lever fût agréable, un beau ciel bleu nous acceuille, accompagné du chant des oiseaux et du bruissement du torrent qui passe juste derriére une rangée d'arbres. Le propriétaire du champ venant faire son petit tour, a tout simplement fait comme si il ne nous voyait pas, étonnant, nous qui nous attendions à des remontrances pour ne pas avoir demandé l'autorisation de dormir sur son terrain. Non rien, tout juste un regard, peut être est-il habitué à cette forme de squattage??!!
Plus loin nous nous arrêterons dans un petit village se trouvant sur le bord de notre route, afin d'y refaire le plein d'eau; François (quel tombeur celui là!) trouvera le moyen de se faire draguer par une jeune et jolie espagnole d'environ la centaine d'années, lui contant les beautés de la région que nous allions parcourir, et tout ceci dans un patois des plus local. Sacré François déjà qu'il ne parle pas un mot d'espagnol, comme quoi la barriére de la langue...
Donc, aprés cette petite infidélité à Gabrielle, à qui bien sûr, nous tairons l'aventure, (Oups!) nous repartons pour Espot, par un petit chemin bien sympathique à flanc de montagne puis dans un fond de vallée tout mignon. Une fois arrivés dans ce joli village, nous sommes aguichés par un joli café aussi mignon que sa serveuse, ne pouvant résister à son charme (du café, bien sûr!) nous décidons, à contre coeur, de nous y arrêter pour le déjeuner, et tant qu'à faire, pour une délicieuse sieste.
Grosse erreur, comme pour nous punir d'avoir sucombé au charme d'Espot, le ciel, à notre réveil nous gratifie d'un spectacle effrayant pour nous, pauvres randonneurs, il pleut des cordes. Pas impressionnés, nous y allons quand même; résultat, on marche pendant une heure sous des trombes d'eau, lorsque nous arrivons sous une sorte de petit auvent où nous décidons de nous abriter en attendant que ça se calme. Nous finissons par apprendre que le refuge où nous comptions dormir est plein et que l'on aura du mal à y trouver une place pour la nuit.
Hébètés par un mélange de fatigue et de déception dû à la malchance que nous avons depuis quelques jours, trempés jusqu'aux os, grelottants de froid, nous restons là, penauds sous cet abri pendant peut être une heure ou deux, à attendre... Quoi? On ne le savait même pas! On attendait c'est tout, incapable de faire autre chose, à part se demander l'intérêt de cette aventure??!!
Soudain une voiture s'arrête, elle prend deux randonneurs dans le même état que nous, je vois bien qu'elle redescend sur Espot. Et, je réalise que c'est ce qu'on à de mieux à faire, je regarde François: "On y va??!!" C'est tout juste si j'entend sa réponse, je cours déjà après la voiture qui redémarre, tape au carreau, demande au chauffeur s'il peut nous prendre. Affirmatif. Je cours prendre mon sac, et on plonge dans le coffre de la camionnette... Pendant toute la descente, nous regardons en silence la route que l'on vient de faire sous la flotte, défilant dans l'autre sens, parcourant en cinq minutes ce que l'on à fait en une heure, nous rappelant que ce n'est pas la première fois. Amères, nous ne lacherons pas un mot pendant tout le trajet, tout au plus un remerciement à notre chauffeur en arrivant à Espot.
De retour sur nos pas, que faire? On ne réfléchira pas longtemps et on optera rapidement pour aller ce rechauffer dans ce même café qui nous acceuilla plus tôt dans la journée, auprés de ce même sourire, peut être un peu plus compatissant, de notre jolie serveuse. Elle nous indiquera ensuite un hôtel où nous passerons la nuit, à contre coeur, après avoir diner dans ce même café bien sympathique.

19éme jour : samedi 17 juillet

Enfin, une journée sublime, qui rattrape largement toutes celles que l'on vient d'avoir; incertaines (pas de carte), des paysages médiocres, sans parler de la route, de son bitume et des différents retours sur nos pas principalement à cause du temps.
C'est vrai ce matin nous avons du mal à décoller du confort (relatif) de l'hôtel, mais l'arrêt dans un petit magasin dans lequel nous découvrons la fameuse carte manquante nous met de bonne humeur. Enfin nous savons où nous sommes et où nous allons, mine de rien c'est un poids énorme en moins, on a désormais une idée des étapes qui nous attendent, cette incertitude nous aura miné depuis que nous sommes rentrés en Espagne.
Rapidement, on arrive au refuge où nous comptions dormir, on y prend un café, je discute un peu avec les jeunes qui le gèrent, ils sont vraiment sympathiques, dommage que l'on n'ait pas pu passer la nuit ici... Et puis ça y est, on entre dans les Encantats, ils méritent leurs noms, des paysages sublimes, de la vrai montagne, sans parler des lacs dont le bleu est foncé par le ciel qui garde des traces de la veille (toujours aussi sombre), enfin bref, on se sent tout petit, et c'est du pur bonheur.
Cerise sur le gâteau, on arrive à faire l'étape initialement prévue malgré le retard accumulé la veille, c'est ainsi que nous bivouaquons face au lacs des Colomeres en prenant soin de s'éloigner du refuge (pour éviter le bruit) tout en étant à peu prés couvert (surtout psychologiquement) du vent par le refuge d'hiver.
On s'était éloigné du refuge afin d'être sûr d'être au calme, et bien non, encore une fois des français ont trouvé le moyen de nous pourrir notre début de nuit. Pour une fois que nous nous couchons heureux de notre journée, deux imbéciles viennent discuter pendant trois plombes et rire à gorges déployées juste à coté de notre tente, sans imaginer une seul seconde (c'est eux qui l'on dit) qu'il y ait pu avoir quelqu'un dedans??!! Non, non, on la juste planté là pour le plaisir et après on est allés se payer une nuit au refuge...
Au bout de vingt minutes à attendre désésperement qu'ils s'en aillent, François a vite fait de leur aprendre quelques régles de bienséance (qui me semble évidente en temps que randonneur, mais bon...) et enfin nous pouvons dormir tranquille.Aaaaahhh, luxe, CALME et volupté...

20éme jour : dimanche 18 juillet

Le départ est difficile ce matin, je découvre en parcourant les deux cents mètres qui nous séparent du refuge, afin d'y prendre le petit déj' dans la salle hors sac, que je suis incapable de mettre un pied devant l'autre sans avoir mangé, je n'arrête pas de m'emmeler les pieds, de glisser, tout ça me fait bien rigoler, j'ai l'impression d'être bourré. Le petit déjeuner s'éternisera un peu à cause de diverses ondées qui passent au dessus de nos têtes, l'idée de marcher, encore, sous la pluie nous fait tout simplement horreur.
On décide de partir par la piste qui descend sur Salardu, toujours plus confortable lorsqu'il pleut, qu'un chemin qui devient vite glissant. Lorsque nous y arrivons le ciel s'est complétement découvert, le mélange de noir de gris et de blanc qui nous surplombait et devenu un beau bleu azur, c'est quand même beaucoup moins pesant. Nous décidons de manger sur la petite place qui se trouve derrière l'église, puis nous decidons d'y faire une sieste pour éviter le cagnard de début d'après midi... Bien nous prend de profiter de ces derniers moments de plaisir, le reste de la journée sera un enfer; de la route national, des voitures et des camions, qui passent en vous rasant, l'odeur, le bitume qui brule la plante des pieds, être obligé de marcher dans le fossé d'évacuation de l'eau. Et comme si ce n'était pas suffisamment pourri comme ça, il est partout -si c'était encore possible dans cette vallée aride infestée d'usines et autres saloperies- interdit de planter la tente!!!
On voudra dormir dans un gîte d'étape, pas trop le choix, pas de problème, on se fera proprement refouler, soirée privée probablement??!! Obligés de repartir pour deux heures de marche, dans les même conditions qu'au dessus. Alors nous arrivons à Viella, hébètés de fatigue, extenués, incapables de réfléchir une seconde. On se jette sur le premier hôtel venu en espérant qu'une chose, que l'on ne se fasse pas jeter, sans même se demander si dans cette ville il n'y a pas autre chose que ce quatres étoiles -il est vrai au prix d'un formule un en France- mais tellement hors sujet, dans le cadre de notre transpyrénéenne. Nous sommes honteux d'être là, on a le sentiment de n'avoir rien à y faire, ce qui accentué par le regard que nous portent les gens. Il est vrai qu'avec nos gueules de bergers des pyrénées, nous devons un peu détonnés dans cette ambiance pimpante où tout brille, avec nos fringues crades, nos barbes de vingt jours, nos mines défaites et fatiguées.
Une fois installés dans notre chambre, et lavés, (haa le plaisir d'une bonne douche chaude!) nous décidons d'aller nous offrir un restaurant, on sait que demain on quitte l'enfer espagnol, et ça, ça se fête... Alors on ce fait un vrai restaurant, bien comme il faut, pas trop chère quand même et on se régale, c'est trop bon. François ne pourra s'empécher d'essayer d'expliquer au serveur qu'il faut qu'il remercie le cuistot, que ça fait vingt jours que l'on bouffe des pâtes lyophilisées, ou au mieux du pain avec du saucisson, et parfois (mais c'est fête dans ces cas là) du chocolat, mais je crois que le serveur est loin de réaliser le bonheur que nous a procuré ce repas...
Nous repartons heureux vers le palace où nous logeons, discutant de tout et de rien, toute la pression est retombée, et on a de nouveau des discussions que l'on avait pas eu depuis longtemps, c'est à dire sur autre chose que les pyrénées, rien que ça. Pendant une heure on restera comme ça, assis sur les marches de l'hotel, à causer, tranquille.
Ce soir nous dormons bien, après avoir regardé "La cité de la joie" à la télévision, ça me fait bizarre de retrouver ce film ici, je ne c'est pas pourquoi?
Je m'endors heureux, content de retrouver la France et le GR10, demain.

21éme jour : lundi 19 juillet

Comment refaire sa réserve lipidique en un repas? Réponse: il suffit de prendre un petit déjeuner dans un hôtel espagnol quatre étoiles, je n'ai jamais fait un tel festin. Patrick m'accusait d'avoir volé le sac de Gargantua, et bien ce matin je mange à sa table. Au menu, saucisses, oeufs brouillés, accompagnés de pain frotté à l'ail et à la tomate, et en dessert pains à la crème, croissants au chocolat ainsi qu'un bon café, que demande le peuple? Et bien je peux vous dire que c'est difficile de décoller aprés un tel repas...
Malheureusement, la journée qui nous attend sera à l'opposé de ce que fut ce festin.
On commence par rejoindre un pseudo GR qui nous balladera gentiment, au bout de deux heures à avoir la mauvaise impression de tourner en rond, on finit par décider, attristés, de reprendre la nationale et tous ses désagréments qui l'accompagnent, voitures, bitume, etc... Au bout de plusieurs heures de ce calvaire où de nombreuses voitures klaxonneront en nous croisant afin de bien nous rappeler que l'on a rien à faire ici, une voiture pile devant nous, au grand mécontentement des voitures qui le suivent, le faisant bien sentir par le biais de ce jouet inutile qui sert à faire du bruit: le klaxon. L'homme nous propose de nous déposer à Bossost, nous refusons, il insiste, apparement, il considére que c'est de la folie de marcher sur cette route, on finit par accepter. Décision que l'on ne regrettera pas en voyant le peu de possibilité de marcher sur le reste de national qui nous attendait. Cest un petit vieux vraiment sympa. Il n'est pas originaire d'ici, mais il est venu plus jeune pour investir dans l'immobilier, et apparemment ça marche plutôt bien. Marrant, il n'a pas l'allure de quelqu'un d'aisé, à part la voiture...

22ème jour : Mardi 20 juillet

Pour notre retour en France, le ciel nous a gratifié d’un orage insensé. Tonnerres. Flashs. Des trombes d’eau se sont abattues sur notre abri pendant deux heures dans un bruit fracassant rendant toute discussion inaudible. Qu’est-ce qu’on se sent minuscule dans ces moments-là! La tente a tenu bon.

Au matin, Olivier se réveille en sursaut dans un cri étranglé une énorme limace visqueuse et répugnante à deux centimètres du visage. Comment a-t-elle fait pour rentrer celle-là? En ouvrant la tente pour la jeter dehors, il s’aperçoit que l’endroit en est infesté. Il y en a partout.
Bon, ce n’est pas le tout mais le petit déjeuner n’attend pas. Olivier retourne son quart et tombe sur une énorme déjection noire de limace. Ecoeuré, énervé, il s’acharne sur un spécimen à l’aide d’une chaussure ponctuant chaque coup de noms d’oiseaux. Il m’arrive de repenser à cette scène burlesque, le sourire aux lèvres.
Nous sautons ainsi le petit déjeuner et partons à jeun sur la route dans la brume matinale; Bagnères de Luchon n’est plus très loin. Nous progressons toujours face à la circulation pour voir arriver les véhicules qui, à cette heure ci, ne sont pas nombreux. Malgré tout, une voiture roulant à vive allure, nous klaxonne de manière hystérique en nous croisant. Même si nous ne les gênons strictement pas – puisque nous nous arrêtons pour nous écarter franchement sur le bas-côté – cela choque les gens de voir des marcheurs évoluer sur le bord d’une route. Ce n’est pas le cas pour un cycliste. Il est pourtant tout aussi fragile et les voitures sont obligées de les dépasser de façon dangereuse.
De toute façon, j’ai horreur de marcher sur la route. Ne s’y exprime qu’un rapport de force. Au jeu: « Qui laissera passer qui? », c’est le plus gros qui gagne. Le camion l’emportant sur le bus qui l’emporte sur les voitures puis viennent les cyclistes et enfin les piétons. Nous sommes tout en bas de la hiérarchie, les plus lents et les plus faibles, alors on nous klaxonne en passant à 100 km/heure pour nous faire comprendre que les fous, c’est nous.

A Bagnères de Luchon, notre premier objectif est de trouver une laverie automatique. Il est plus que temps. En 22 jours, mon T-shirt n’a été plongé que deux fois dans l’eau sans réellement être lavé. Pendant que nos vêtements tournent dans la machine, nous allons prendre le petit déjeuner dans un bar. Lorsque nous racontons notre aventure au patron, il s’exclame :
_ Alors vous… vous êtes cons ou quoi !?
De fil en aiguille, il s’avère que lui aussi a traversé les Pyrénées mais…en quad. Il achève finalement son récit en nous donnant raison. Comme pour se faire pardonner, il nous dégotte une baguette de pain pour nos tartines et nous annonce que c’est gratuit.

Nous devons envoyer un colis à Gabrielle et refaire des courses mais le supermarché n’ouvre qu’à 15 heures.
_ Bon, ben, on marchera pas beaucoup aujourd’hui !
Les problèmes de logistique réglés, nous repartons par un sentier. Enfin, plus de goudron ! Les pieds apprécient.
Arrêt. Nous dressons la tente au milieu de hautes herbes au bord du chemin. Dès que nous stoppons notre progression, j’ai un petit coup de blues. Toujours cette impression désagréable de faire du surplace. Nous nous sentions bien que lorsque nous marchons. Je me décrispe en discutant avec un couple revenant d’une ballade avec leur chien.
En me couchant, me reviens en mémoire une famille croisée un peu plus tôt. Ils ont mis huit jours pour venir de Cauterets. Ce serait parfait ; nous fêterions notre 30ème jour de marche et mes 23 ans dans une ville à laquelle je suis attachée. Je repense également aux SMS envoyés par nos proches que nous avons reçu au moment où nous franchissions la frontière. Olivier et moi, nous lisions nos messages respectifs, heureux à cet instant de nous sentir portés par les autres. Je m’endors, serein.

Un moment après, un bruit lointain nous réveille. Une sorte de cri d’animal, rauque, lancé par petits coups brefs. Ce n’est pas un chien. Merde, ça se rapproche ! Silence… Nous entendons quelque chose flairer pas très loin de notre tente. En apnée, nous osons à peine déglutir. Puis la bête repart comme elle est venue. Mystère.

23ème jour : Mercredi 21 juillet

Nous n’en sommes pas tout à fait certains mais nous devinons que la moitié de notre parcours est effectuée.

Temps splendide au réveil. A Superbagnères – une station de ski – nous devons refaire le plein d’eau. Deux adorables mamies portent secours à Olivier et le font monter dans leur appartement.
_ Alors, tu te fais draguer toi aussi ?

Un sentier agréable se promène au milieu d’un décor grandiose. Plusieurs familles se baladent profitant du panorama et de l’air pur. Nous shootons tous azimuts et prenons le temps de contempler les montagnes, les pics enneigés aux arêtes tranchantes, les tapis de verdure. Nous nous gorgeons de beauté. Ces moments justifient nos efforts. Nous savourons d’autant plus que nous ne devons tout cela qu’à nous-mêmes, nous sommes parvenus jusqu’ici par nos propres moyens, avec nos deux jambes.
Brusquement, après un modeste col, il n’y a plus personne. La suite du parcours est une succession de montées et de descentes dans un environnement magnifique. Le fil du chemin balafre les versants. Les flancs de la montagne tels d’immenses criques impriment au sentier de larges courbes. Le regard porte loin, les yeux caressent les cimes.
Le miroir du lac d’Oô nous apparaît au fond d’une descente plongeante. Il semble à portée de main. Le ciel est changeant. Une fois de plus, il se couvre en un instant. De grosses gouttes se mettent à tomber puis…de la grêle ! Tandis que les grêlons fouettent nos ponchos, je me mets à sourire. On ne nous croira jamais ! Cela dure 25 minutes. Alors que nous touchons notre but – le refuge du lac d’Oô – le soleil pointe et sèche nos habits en quelques secondes. Incroyable. Nous avons simultanément été frigorifié et cuit !
Les bords du lac d’Oô sont un site touristique fréquenté. Après un coca régénérateur, nous filons dresser notre tente à l’écart.

24ème jour : Jeudi 22 juillet

Un soleil rond et plein éclabousse de lumière la cascade du lac d’Oô. Le chemin – en pente douce jusqu’aux Granges d’Astau où est aménagé un parking – draine de nombreuses familles venues l’admirer. Au matin, comme des saumons, nous descendons le flot à contresens. Nous lançons 350 « bonjour » en une heure, plus qu’en 24 jours ! A mi-parcours, un père inquiet et essoufflé nous aborde le regard interrogateur.
_ C’est encore loin !?
_ Vous y êtes, c’est juste là !
Notre définition du « juste là » est-elle la même que la sienne ? Relativité du temps et de l’espace.

Notre carte annonce une rude montée après les Granges d’Astau. C’est le cas. Heureusement, nous pénétrons vite dans la fraîcheur du sous bois. Rencontre avec trois gars lors d’une pause. Ils viennent de Luz St Sauveur. Les gens commencent à nous regarder avec des yeux ronds lorsqu’à la question rituelle : « Et vous, vous venez d’où ? », nous rétorquons de concert : « Banyuls sur mer !! ».

Nous suivons à présent un val qui s’élève progressivement vers un col. Je suis pris de maux de ventre qui m’obligent à ralentir. Au col, nous nous allongeons dans l’herbe, le refuge de l’Ourtiga nous attends, tout en bas, de l’autre côté. C’est une petite bicoque que nous atteignons après une descente éprouvante pour les pieds (qui tapent au bout des chaussures) et les quadriceps (qui retiennent tout le poids du corps). Bien tenue, nous y trouvons une table et des bancs ainsi qu’une échelle menant sous un toit d’ardoises. Nous y sommes comme des rois. A la nuit tombante, nous nous étendons à l’étage dans la poussière du plancher. Dans la chaleur restituée par les pierres, nous livrons nos corps et nos pieds endoloris au sommeil.

25ème jour : Vendredi 23 juillet

Je me lève avec l’impression de ne pas avoir dormi. Le jour nous accueille par de grosses rafales de vent. Nous mettons une heure pour rejoindre Loudenvielle où nous interrompons notre marche dans un bar.
Olivier me tend le journal local. A la une, la photo d’une main avec, dans sa paume, un grêlon de la taille d’une boule de pétanque. En second plan, une grange dont le toit est percé d’énormes trous. La grêle a fait des ravages dans la région de Lourdes. Qu’aurions-nous pu faire si cela s’était abattu sur nous? Je tourne une page et tombe sur un article décrivant la chute mortelle d’un randonneur. Je referme le journal.
Accoudé au comptoir, le patron nous questionne. Nous apprenons notamment qu’il est le propriétaire du troupeau de vaches qui paissait non loin de notre abri.

Après un bref exposé de nos péripéties, il s’en va l’air comploteur. L’exclamation d’une femme indignée nous parvient. Alors que notre hôte revient, nous comprenons. Il tient dans chaque main un edelweiss.
_ Tenez, ça vous portera chance pour la suite.
Nous balbutions des remerciements maladroits. Malgré les réprimandes de sa femme, il a tenu à nous offrir deux étoiles des neiges cueillies dans sa jardinière. Geste inoubliable.

Nous cassons la croûte sur les bords du lac de Genos-Loudenvielle avant d’attaquer le col d’Aspet sous le soleil. Je n’ai pas beaucoup d’énergie aujourd’hui, nous faisons de longues pauses. Durant l’une d’elle, nous conversons avec deux jeunes lyonnais – des compatriotes – qui viennent à pied de Lourdes. La longue et lente descente vers Bourisp – à côté de St Lary – se fait dans la douleur. La faim devient une obsession. Nuits et jours, même juste après les repas, notre ventre réclame son dû.
Arrivés au camping, Olivier (comment aurais-je fais sans lui ?) va nous quérir quelques rations supplémentaires pour le dîner notamment une boîte de raviolis que j’accueille comme le messie. Je n’ai même pas eu le courage de l’accompagner, je me suis allongé par terre, frappé d’inanition.

Ce soir, nous bénéficions d’un tarif spécial grâce à la bienveillance de la propriétaire, une dame joviale et attentionnée qui nous appelle ses « petits randonneurs ».
Nous nous endormons, repus et bienheureux.

A suivre...